Un beau matin d'avril de 1908, Karolina Olsson se réveilla sur la petite île d'Oknö, située entre le continent suédois et Gotland, la plus grande île de Suède, dans la mer Baltique, une partie de ce vaste océan Atlantique.
C'était une journée ordinaire pour la plupart des Suédois, peut-être en train de planifier une excursion au théâtre dramatique royal nouvellement inauguré (par opposition au théâtre non dramatique situé plus bas dans la rue, nettement moins divertissant), ou une journée passé à réfléchir aux frais d'adhésion à la nouvelle association de ski de fond, destinée à promouvoir les skieurs suédois, qui n'ont cessé de remporter des succès depuis lors.
Pour Olsson cependant, ce jour était différent des douze mille précédents.
Parce que la jeune personne les avait tous passés - du 22 février 1876 à ce jour - profondément endormie.
Mais l’était-elle vraiment…
En 1876, Olsson, âgée de quatorze ans, rentra chez ses parents, des gens bigots et idolâtres, avec lesquels elle vivait en compagnie de ses quatre frères. Elle leur raconta une malheureuse histoire. Elle était tombée sur la glace, leur dit-elle, et s'était cognée la tête. Elle leur montra les nombreux bleus qu'elle portait comme preuve de sa chute.
On ne sait pas exactement comment la famille réagit à cette aventure, peut-être en la croyant totalement et en hochant la tête, ou en se montrant légèrement incrédule devant l'ampleur des dommages physiques causés par une simple chute.
Mais nous savons qu'ils ont vraisemblablement continué à déguster leur hareng noir et décidèrent que l'enfant n'avait pas besoin de soins médicaux, probablement parce que le médecin le plus proche se trouvait à une certaine distance, mais aussi parce qu'ils avaient peu de vieux riksdalers ou de nouvelles couronnes à dépenser.
C'est lorsque l’enfant se plaignit d’un affreux mal de dents quelques jours plus tard que sa mère se rendit compte de la gravité des blessures de la jeune fille. Conformément aux meilleures pratiques dans une Scandinavie reculée du XIXe siècle qui vivait côte à côte avec des sorcières des bois, des sorcières du vent, des fantômes de mer et d’antiques apparitions antagonistes, elle fit ce que toute bonne mère aurait fait : elle l’envoya se reposer.
Pendant trente-deux ans.
Avant ce jour, Olsson n'était pas scolarisée, elle était chargée d'aider sa mère dans les tâches ménagères quotidiennes - blanchissage et nettoyage, couture et cuisine - tandis que ses frères s'en allaient recevoir une éducation à l'école locale. Sa seule incursion dans le monde de l'apprentissage était l'obligation d'apprendre son catéchisme.
Après ce jour de 1876, il semble que les corvées et le luthérianisme n’eurent plus autant d'importance.
Une fois au lit, Olsson s’endormit profondément. Sa mère s'occupait d'elle, la lavait tous les jours et veillait à ce qu'elle boive deux verres de lait par jour, ce qui lui aurait permis de survivre pendant toute la durée de son sommeil, bien que l'idée qu'une femme adulte puisse se contenter de cela pendant si longtemps paraisse improbable.
Les habitants de la région, ayant entendu parler de la chute tragique et de l'alitement qui s'ensuivit, se rendirent sur place et virent une enfant bien soignée, endormie dans un lit chaud et propre. Ils demandèrent des nouvelles de la patiente, et on leur répondit qu'elle était malade, mal en point, fatiguée ou épuisée. Finalement, les voisins financèrent la visite d'un médecin, craignant que la superstition de la mère ne fasse obstacle au bon sens et à la science. Le médecin, Johan Emil Almbladh, ne trouva cependant aucun moyen de réveiller l'enfant et décida qu'une sorte de coma avait dû se produire après la chute.
Le praticien fit appel à d'autres professionnels de la santé pour voir Olsson, mais aucun ne put déterminer de quelle maladie elle souffrait, comment la guérir, ou pourquoi ses cheveux, ses ongles des mains et des pieds ne poussaient pas du tout pendant qu'elle était dans cet état de torpeur.
Seize ans après avoir sombré dans le sommeil, en 1892, alors que des changements de fond se produisaient dans son pays - comme la fondation de l'Union suédoise de la tonnellerie et du Stockholm Women's Public Club - elle fut diagnostiquée par défaut comme souffrant d'un cas sévère d'hystérie et transportée à l'hôpital d'Oskarshamn pour y subir des examens; on lui appliqua des méthodes thérapeutiques progressistes comme la piqûre d'aiguilles pointues ou un traitement encore plus sophistiqué, comme l'administration de décharges électriques. En vain. Pendant son séjour, on constata qu'elle était en bonne condition physique, sans atrophie musculaire ni dégénérescence physiologique. Elle fut renvoyée chez elle avec un diagnostic provisoire de démence paralytique, un symptôme de la syphilis à un stade avancé.
Alors que la presse écrivait abondamment sur celle qu'elle surnommait la "Belle au bois dormant", Olsson continuait à dormir, dans la sécurité de sa chambre et sous les soins attentifs de sa mère.
Jusqu'en 1904, bien sûr.
Lorsque la patrie d'Olsson mit fin à son union avec ses voisins norvégiens, permettant ainsi que la Norvège puisse se réjouir, lors du match de qualification pour la Coupe du monde de 1981, de la "sacrée raclée" qu'elle avait infligée à l'Angleterre, la mère d'Olsson trépassa. Jusqu'alors, on savait qu'Olsson gémissait parfois faiblement et il arrivait qu’on l’entende murmurer des prières qu'elle avait apprises dans son enfance. Mais les jours qui suivirent le décès de sa mère, on la découvrit souvent pleurant abondamment dans son état de sommeil permanent.
Son père étant trop âgé pour s'occuper de sa fille, une gouvernante fut engagée pour s'occuper d'elle, et avec cette nouvelle personne, bien moins dévouée au corps de l'enfant, les choses commencèrent à changer un peu.
La gouvernante remarqua à quel point la peau d'Olsson était bien soignée, et que les bonbons qu'elle apportait à la chaumière lorsqu'elle s'occupait de la dormeuse disparaissaient étrangement lorsqu'elle était dans une autre pièce. Il lui semblait également percevoir plus de mouvements chez la jeune femme, et si elle accomplissait ses tâches envers une personne qui n'avait pas quitté sa chambre depuis trente ans avec un soin certain, elle les exécutait sans le même dévouement et la même implication que la mère d'Olsson.
Malgré cela, Olsson roupilla encore pendant quatre ans.
En 1907, le frère d'Olsson - on ne sait pas lequel des quatre - mourut, et cette fois, Olsson se mit à gémir de chagrin, mais resta quand même assoupie. Un an plus tard, en 1908, le 3 avril, la gouvernante perçut des mouvements et des bruits étranges venant d'en haut dans la chambre d'Olsson et, en entrant, vit la patiente sauter dans tous les sens et pleurer intensément.
Après trente-deux ans et quarante-deux jours, Olsson s'était enfin ranimée.
À son réveil, elle aurait été éblouie par les lumières vives, son corps était faible et très mince, et elle avait du mal à parler.
Mais le plus étrange, c'est que la femme de quarante-six ans qui se tenait maintenant alerte devant les membres de sa famille, les professionnels de la santé et bientôt la presse mondiale, ne semblait pas avoir plus de vingt-cinq ans, tout au plus.
Après sa guérison, elle subit des tests, des interrogatoires, des épreuves et des examens. Elle se révéla compétente et intelligente, et sembla rapidement retrouver sa force et son langage. Elle se rendit compte qu'elle pouvait lire et écrire correctement, et se souvenait de tout ce qui s'était passé avant qu'elle ne s'endorme, bien qu'elle n'ait pas reconnu ses frères désormais beaucoup plus âgés.
Pour tous ceux qui entraient en contact avec elle, Olsson était un mystère complet.
Le psychiatre suédois Harald Fröderström, qui la rencontra quelques années plus tard, rapporta qu'elle semblait beaucoup plus jeune que son âge et pensa qu’elle avait dû souffrir d'un épisode de psychose sévère, provoqué par un événement douloureux, mais pas nécessairement une chute innocente sur la glace dure, par une froide journée d'hiver suédois.
D'autres personnes à l'époque, et depuis, se sont également montrées méfiantes à l'égard de cette histoire, évoquant des indices montrant qu'Olsson se réveillait de temps en temps, et jugeant sa mère complice de l'avoir cachée d'un monde qui l'avait effrayée ou blessée, d'une manière ou d'une autre.
D'autres étaient convaincues qu’Olsson et sa mère avaient simplement convaincu tout le monde que la fillette était malade et ne pourrait pas guérir, peut-être par honte ou gêne, peut-être parce que c'était leur secret et qu'elles l'ont bien partagé, jusqu'à ce que la mère décède et que le rêve de paix de la jeune femme prenne fin.
Le 5 avril 1950, Olsson, « la dormeuse d'Oknö », mourut d'une hémorragie intracrânienne, provoquée par la rupture d'un vaisseau sanguin, peut-être à la suite d'un traumatisme physique, comme une chute innocente sur la glace dure par une froide journée d’un hiver suédois.
Ou, tout simplement, il pourrait ne s'agir que de sorcellerie après tout.
Photo by Maksim Orlianskii
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