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Hansel et Gretel 2044 par Sylvaine Perret-Gentil



Un concierge et sa femme, caissière de supermarché, tous deux sans-emploi de longue durée, vivaient à l’orée de la banlieue des anciennes industries avec leurs enfants, Hansel et Gretel. La famille était pauvre. Durant l’une de ses nuits sans sommeil, où il remâchait ses soucis, le concierge dit à sa femme : « Comment élever nos pauvres enfants ? Les services sociaux ont trop d’enfants sur les bras depuis que les robots nous ont tous privés de revenus.— Eh bien, dit la femme, dès l’aube, nous conduirons les enfants au plus profond de la banlieue, dans les vieux entrepôts. Puis nous ferons semblant d’aller récupérer des déchets métalliques et les laisserons seuls. Ils ne retrouveront plus leur chemin. La police finira par les embarquer et les amènera aux services sociaux !

Les deux petits, n'ayant pas pu s'endormir à cause du souper trop léger, entendirent les paroles de leurs parents. Gretel dit à son frère : « C’en est fait de nous !— Ne t'en fais pas, dit Hansel. Nous trouverons un moyen de nous en tirer. »

Quand les parents furent endormis, Hansel se leva et sortit de la maison. Il rejoignit un groupe de jeunes désœuvrés. Caché, il les observa un moment, puis réussit à subtiliser le smartphone que l’un d’eux avait volé dans l’après-midi. Quand vint le jour, la mère réveilla les deux enfants : « Debout ! Nous allons dans la banlieue pour y chercher du métal à revendre. »

Ils se mirent tous en route. Quand ils furent arrivés, le père dit : « Ramassez des cartons et des cageots ! Je vais allumer un feu pour que vous n'ayez pas froid. » Hansel et Gretel amassèrent ce qu’ils trouvèrent. Quand on y eut mis le feu et qu'il eut bien pris, la mère dit : « Attendez-nous ici ! Quand nous aurons fini, nous reviendrons vous chercher. »

Les deux enfants attendirent jusqu’à la nuit noire. Leurs parents ne vinrent pas. Les lampadaires cassés n’illuminaient plus rien. « Attendons encore un peu, dit Hansel, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous verrons où nous marchons. »

Quand la pleine lune brilla dans le ciel, Hansel sortit le smartphone de sa poche. Il ouvrit Google Map et introduisit l’adresse de la maison. Ils se mirent en chemin en suivant la petite flèche sur l’écran. Après vingt minutes, la batterie du smartphone fut malheureusement vide. Ils marchèrent encore toute la nuit et le jour suivant. Ils cherchèrent de l’aide auprès de quelques personnes reléguées dans cet endroit hostile. Aucune ne fut en mesure de leur fournir un chargeur adapté au smartphone trop récent.

Vers minuit, ils entendirent une musique au loin. Ils se guidèrent au son des notes et aperçurent une enseigne lumineuse. Il était écrit : « Le Survivant, le plus vieux cybercafé de la banlieue ». Les enfants sautèrent de joie. Ils poussèrent la porte de l’établissement. Derrière le vieux comptoir usé, une vieille femme, à l’allure négligée, leur offrit un sourire sans-dents. « Hé, chers enfants ! Qui vous a conduits ici ? Entrez, venez dans mon café ! Il ne vous sera fait aucun mal. » La vieille femme servit aux enfants du lait et deux gaufres. Elle les fit ensuite entrer dans la petite chambre derrière le comptoir. Épuisés, Hansel et Gretel se couchèrent sur le matelas à même le sol, mais ne parvinrent pas à s’endormir.

La gentillesse de la femme n'était qu'apparente. Ils le sentaient. En réalité, c'était une méchante sorcière qui laissait son enseigne allumée pour attirer les enfants perdus dans la banlieue. Quand ils tombaient dans son filet, elle les vendait à un réseau de pédophiles.

Avant l'aube, elle avait déjà contacté Dédé le Flambeur, qui encaissait de grosses commissions en faisant l’intermédiaire pour la vente des enfants. Hansel et Gretel, éveillés, entendirent le téléphone. Ils attendirent que la vieille sorcière s’endorme à même le comptoir. Lorsqu’elle se mit à ronfler, ils sortirent de la chambre. Sans bruit, ils essayèrent de remettre en route le vieil ordinateur qui s’ennuyait dans un coin du café, mais celui-ci n’était qu’un appât. Il n’était pas connecté à internet. Tant pis ! Il fallait partir !

Ce fut après plus d’une heure de marche que les enfants entendirent un bruit familier, celui du métro suspendu qui traversait la ville. Ils se dirigèrent vers la ligne et la longèrent jusqu’à la première station. Toutefois, celle-ci leur fut inaccessible, car la grille ne s’ouvrait que sur présentation d’une puce électronique. Les enfants poursuivirent leur marche en priant de rencontrer une bonne âme qui pourrait les aider. C’est alors que deux personnes en uniforme déboulèrent en gyropodes. Ils expliquèrent aux enfants que les abords de la ligne du métro étaient contrôlés pas caméras. Ils dirent aux enfants qu’ils devaient quitter les lieux immédiatement. Hansel et Gretel voulurent leur faire part de leur mésaventure, mais les deux employés de sécurité n’eurent que faire de leurs malheurs et les chassèrent brutalement.

Quelques kilomètres plus loin, les deux enfants aperçurent enfin le pont routier proche de chez eux. Une fois au bord de l’avenue, ils tentèrent d’arrêter l’un des véhicules autonomes qui filaient à vive allure. Aucun ne stoppa pourtant, car chacun était programmé pour un trajet donné, sans autres arrêts que ceux rendus nécessaires par les signaux de coordination. Il leur fallut encore deux heures pour atteindre le portail de leur maisonnette. Le concierge et sa femme se précipitèrent hors de la maison. Ils serrèrent leurs enfants dans leurs bras, leur demandant pardon de les avoir oubliés et jurant les avoir cherchés pendant tout ce temps. Les enfants se regardèrent. Ils savaient tous deux qu’ils mentaient.

Le soir même, avant de s’endormir, Gretel prit la main de son frère et lui dit :

« Autrefois, Hansel, tu aurais rempli tes poches de petits cailloux que tu aurais semés tout le long du chemin. Nous aurions retrouvé la maison en un rien de temps. »

(Librement inspiré du conte homonyme des Frères Grimm)


Photo by Matheus Rocha



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