Je terminais le post précédent en faisant le pari d’écrire la version « positive » de ce que pourrait être notre monde en 2050, une utopie.
(NB : le récit de SF qui suit peut sembler par moments encore plus pessimiste que le précédent ; mais je crois que tout grand changement est précédé de moments critiques, dont l’issue est incertaine au moment où on les vit ).
La première « anomalie » a eu lieu en 2024, à une époque où le bord du gouffre, bien qu’entrevu, semblait encore loin. Mais notre civilisation se trouvait bien sur ce seuil critique que peu de civilisations parviennent à franchir : un stade de développement où sa technologie lui permettait de s’anéantir, tout en étant dans son adolescence spirituelle. Et tout comme une ado, en se retrouvant confrontée à des choix et des contradictions qui la déchiraient.
Rappelons-le : le monde se réchauffait, les écosystèmes s’effondraient, les inégalités se creusaient alors même que la vision du monde se fragmentait et se polarisait dans des camps qui n’arrivaient plus à s’écouter et à se comprendre.
C’était une autoroute pour l’anéantissement, tant l’humanité était divisée.
Pourtant, il s’est produit ce qui a semblé être – du moins selon le point de vue de la conscience qui prévalait à ce moment, – un miracle. Ce n’est que plus tard, dotée d’un autre point de vue et d’une autre conscience, que l’humanité a pu clairement percevoir ce qui s’était réellement passé.
Toujours est-il que ce 6 mai 2026 il s’est produit le premier événement d’un enchainement qui allait aboutir à la plus grande révolution humaine, même si à cet instant précis personne ne pouvait en imaginer la portée, l’événement semblant de surcroit anecdotique : une fillette allemande de six ans s’était réveillée le matin du 6 mai en parlant couramment l’hindou, alors que personne dans son entourage ne connaissait cette langue. L’événement fut regardé comme une curiosité et vite oublié, des savants concluant que l’enfant avait dû être précédemment exposée au langage en question.
Pourtant, au cours des mois qui suivirent, d’autres enfants – que rien ne reliait à priori –, vinrent à manifester d’autres capacités étranges : certains se découvrirent des connaissances avancées sans rapport avec leur âge, d’autres furent capables de décrire des endroits qu’ils n’avaient jamais visités, voire à manifester des aptitudes télépathiques. Ce qui est certain, c’est que ces « anomalies » semblaient devenir de plus en plus fréquentes.
Mais ces cas demeuraient néanmoins suffisamment épars et statistiquement invisibles, de sorte que personne n’imaginait qu’il pouvait y avoir corrélation.
C’est bien plus tard, une fois que l’humanité entière allait être testée par un phénomène d’une nature encore inconcevable en cette fin de 2026, qu’on a compris que la fréquence d’apparition de ces anomalies augmentait au fur et à mesure qu’on s’approchait d’une catastrophe majeure qui, – sans l’apparition du phénomène –, aurait été inéluctable.
Mais à l’heure où je raconte l’apparition de ces premiers événements, l’humanité ignorait encore tout du changement radical auquel elle allait être confrontée.
Pourtant, en 2032, une équipe interdisciplinaire de scientifiques, dirigée par un couple, (une biologiste suisse et un neuroscientifique indien), fut la première à publier une étude approfondie de ces cas, postulant une hypothèse étrange. L’étude s’intitulait “Emergence of new consciousness abilities: patterns consistent with an evolutionary threshold”.
Leur hypothèse postulait que les « anomalies » de ces enfants n’étaient pas des cas isolés mais qu’elles étaient corrélées. En cause la nature de la conscience humaine, vue comme un champ traversant les individus plutôt qu’un phénomène local.
Pour eux, ces anomalies étaient les signes annonciateurs d’une transition de phase de notre conscience.
Sans surprise, leur étude fut ignorée pendant de longues années. Mais alors que de plus en plus d’enfants semblaient s’éveiller à des capacités de télépathes, l’étude trouva son heure de gloire en 2048.
Il faut rappeler que 2048 fut une année très sombre : aux très violentes catastrophes naturelles et au COVID-47 s’ajoutèrent le drame de la guerre atomique indo-pakistanaise, l’anéantissement de Taiwan par la Chine, l’utilisation par les USA et la France de l’arme psycho-modulaire contre leurs propres populations, sans compter l’implosion de la Fédération de Russie et la famine meurtrière en Afrique due à la destruction de bon nombre de ports marchands à la suite de la guerre indo-pakistanaise.
Cette fois plus personne ne doutait que le bord du précipice était proche.
Pourtant, la raison pour laquelle ladite étude refit surface est liée à un événement d’une toute autre nature, qui allait prouver la théorie de nos chercheurs : pour la première fois, tous les enfants télépathes ( on estime qu’ils étaient 800'000 à ce moment ), eurent une connexion synchronisée. Ils formèrent le temps d’un très court instant un cerveau virtuel, une conscience commune.
Et bien que numériquement ils représentaient moins de 0.01 de la population mondiale, la force d’une telle connexion fut telle qu’elle se propagea même chez les non télépathes, comme une onde de choc mentale. L’humanité s’arrêta totalement pendant un instant. Les gens se regardèrent les uns les autres, comme s’ils se voyaient pour la première fois. Cela n’avait duré qu’un instant et la majorité des humains retourna très vite à la guerre et au « business as usual ». Une minorité fut toutefois profondément bouleversée.
Parmi ces derniers, les réactions furent très contrastées : une partie vécut cet événement comme une épiphanie lumineuse. Mais pour bon nombre d’autres l’expérience fut traumatisante, choqués par ce qu’ils avaient vu et ressenti à cet instant. Leur rencontre avec une conscience globale s’était avérée insoutenable et provoqua une vague de dépressions sévères et de suicides.
Les choses auraient pu en rester là. Mais l’événement se répéta. Puis il devint mensuel. Quant à la fin 2048 il devint hebdomadaire, l’OMS le classa comme « pandémie psychique » et décréta qu’il s’agissait de la pire crise sanitaire de l’histoire de l’humanité. Chaque pays commença son recensement et un registre mondial des enfants télépathes fut créé.
On tenta d’abord des camisoles chimiques sur la psyché des enfants télépathes, puis l’isolation dans des caissons blindés à tout rayonnement électromagnétique et, en désespoir de cause, des trépanations. Mais rien n’y fit : même réduits au niveau cognitif ou amputés d’une partie de leur cerveau, les enfants télépathes continuaient à se synchroniser. Sans compter que les nouveaux cas d’enfants télépathes augmentaient considérablement chaque jour. Une épidémie dont personne ne comprenait la cause, aucun vecteur viral ou de quelconque nature ne pouvant être identifié.
En juin 2049, à la demande d’une très large majorité de gouvernements, ( joints même par ceux qui étaient en guerre les uns contre les autres ), l’ONU décréta l’état d’urgence mondial absolu, invoquant une menace existentielle pour l’humanité.
La décision qui s’ensuivit nous semble aujourd’hui relever de la pure folie, mais il faut se souvenir que pour les non-télépathes, qui représentaient l’écrasante majorité des dirigeants et de cadres au sein de toutes les gouvernements et institutions, les synchronisations des télépathes étaient vécues comme un cauchemar éveillé, une angoisse insoutenable, pire que la mort.
Il fut décrété qu’il fallait euthanasier tous les enfants télépathes. La résistance des parents et des « pro-télépathes » se retrouva réprimée dans le sang. On estime qu’un demi-million d’enfants télépathes furent tués en ce seul mois de juin 2049 dans le monde.
Dans un premier temps, les synchronisations s’arrêtèrent.
Mais le mois suivant, contre toute attente, le phénomène reprit. Les autorités durent se rendre à l’évidence : plus on tuait des télépathes, plus ils en apparaissaient, exponentiellement. L’arrêt des synchronisations avait correspondu simplement au temps nécessaire qu’il fallait à tout nouveau télépathe pour s’accommoder de ses nouvelles capacités.
Face à l’augmentation exponentielle du nombre d'enfants télépathes les autorités furent débordées, le recensement de nouveaux cas devint impossible. En même temps, l’intensité des synchronisations augmenta proportionnellement.
En octobre 2049 celles-ci devinrent quotidiennes et de plus en plus longues.
Les scènes de centaines de millions de gens pris de folie, vaguant dans les rues et implorant que tout cela s’arrête, commettant souvent des actes désespérés, restent gravés dans toutes les mémoires. Les gouvernements s’effondraient partout, le monde sombra dans le chaos pendant un mois.
Et le nombre d’enfant télépathes atteignit 80 millions en décembre 2049.
C’est là que cela se produisit. Ultérieurement, le phénomène fut compris comme la présence d’une masse critique psychique permettant une transition de phase.
Car en plus des enfants télépathes, plus d’un milliard d’êtres humains « normaux », s’accommodait très bien des synchronisations, les décrivant même comme des « orgasmes spirituels » suscitant une envie de communion.
Cette masse critique fit basculer toute la conscience de l’humanité. Tous les non-télépathes développèrent certaines capacités télépathes, ou à défaut devinrent capables de ressentir les synchronisations comme des expériences bénéfiques et bienveillantes.
Il n’y eut pas de nouveaux gouvernements, pas de décrets, pas de tribunaux. Les guerres s’arrêtèrent d’elles-mêmes ; le souvenir des anciennes institutions et modes de pensée se dissolvant comme un nuage de fumée.
La synchronisation devint le mode normal de pensée.
Il est très difficile de se représenter le mode de pensée et l’organisation sociale d’une civilisation télépathe, le ressenti et certains concepts d’une telle civilisation n’ayant simplement pas de traduction dans un langage non-télépathe. On peut néanmoins préciser que l’individualité ne disparaît pas dans une telle civilisation, mais revêt un sens nouveau, chacun(e) étant heureux d’utiliser au mieux ses compétences pour réaliser la vision commune.
Car lors des synchronisations, tout le monde partage sa conscience avec les autres. C’est comme si chacun pouvait voir à travers des milliards d’yeux, c’est comme si « je » devenait l’esprit commun de milliards d’êtres. Une compréhension commune et un équilibre émerge, comme dans un système de vases communicants.
Nous sommes en 2050. L’humanité unie tente de se synchroniser télépathiquement aux autres espèces animales, aux insectes et aux plantes. Les premières tentatives sont encourageantes.
C’est lors d’une de ces tentatives que l’humanité fit une découverte inattendue : une présence consciente totalement différente de ce que nous connaissions se fit sentir. Petit à petit nous sommes parvenus à comprendre sa nature et son message : l’humanité était invitée de rejoindre la société de civilisations télépathes de notre galaxie.
Nous comprîmes à cet instant que nous n’étions pas les seuls, ni les premiers, et que le chemin ne faisait que commencer.
Photo by Misha Voguel
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