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Il faut le voir pour le croire par Katia Elkaim



Dans ta maison, il y a une cheminée et sur son manteau quelques photos bien encadrées. Sur l’une d’elle ta mère sourit. Elle salue de la main le photographe. Tu es dans ses bras, tu as deux ans à peine. On comprend à ton expression que tu es contrarié. Ton père, l’auteur du cliché, t’expliquera tout au long de ton enfance que tu venais de faire un énorme caprice. Cette photo, un peu jaunie, a été prise au début des années 70 sur la plage italienne de vos vacances. Tu en connais l’histoire parce que c’est la tienne. Vous aviez passé deux semaines de bonheur à l’Hôtel Ermitage et tu partageais ta chambre avec tes parents et ta sœur aînée. C’est là, dans cette piscine entourée de parasols orange qu’elle a appris à nager.


Ce récit, maintes fois répété, fait partie de ta mémoire, non pas parce que tu te souviens de l’évènement, tu étais trop jeune, mais parce qu’elle fait partie de la mémoire de tes proches. Et pourtant, si ce moment instantané reflète bien la réalité, son contexte, comme tu l’apprendras plus tard est plus nuancé. Tu étais bien irrité, mais ta mère aussi. Elle venait de se disputer avec ton père pour une broutille, altercation qu’il tentait de dissiper en faisant comme si elle n’avait pas existé, ce que ta mère lui reprochera tout au long de leur mariage. Cet instant de félicité n’en était finalement pas un.


Si formellement cette photo n’a pas été truquée, elle l’a été pourtant par son narratif.


Aujourd’hui, la manipulation de l’image est devenue la norme. Pierre ne poste jamais ses paysages sans y avoir au préalable appliqué un filtre qui en rehausse les couleurs. Dans son pays, les ciels sont toujours très bleus et les nuages très blancs. Nadine a toujours l’air jeune, sans ces rides qui lui bordent les yeux. Les logiciels de retouche sont légion, et souvent gratuits.


Si la retouche n’est pas formelle, elle est souvent matérielle ; des photos sont sorties de leur contexte ou comportent une légende mensongère ou raccourcie.

Il y a quelques années, une photo montrant un enfant blessé par des soldats a été partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Or, cette image, extraite du film du réalisateur tunisien Chawki El Mejri, “Le royaume des fourmis”, avait une légende qui la faisait passer pour un évènement réel dans le but de sensibiliser le public à une cause, en jouant sur l’émotion suscitée par l’image.


Voir ne permet plus de croire. Il faut : vérifier les faits !


Certaines images trafiquées sont célèbres parce qu’elles ont été relayées des millions de fois sur les réseaux sociaux.