La création démoniaque par Katia Elkaim
Dernière mise à jour : 2 mars 2021

Assise au 20ème étage d’une tour, face au soleil couchant, Aladia cherchait l’inspiration. Elle cherchait l’inspiration depuis cinq ans, depuis qu’en cette toute fin de XXIème siècle, bercée par les dieux, elle a produit le roman d’une génération.
Portée par le repli identitaire et le formidable élan d’une jeunesse désespérée, elle a raconté le quotidien d’une jeune fille dont le seul tort a été de naître des séquelles d’une pandémie. Prise par la rage et la tristesse de voir tous ces adultes débiles détruire quelques siècles de démocratie, son roman lui était tombé des mains comme une nausée. Et puis, porté par les réseaux sociaux, son cri avait retenti comme une bannière et en moins de temps qu’il n’avait fallu pour le dire, elle était citée, récitée et finalement publiée.
Et depuis : plus rien !
Au début, elle ne tenait pas spécialement à réitérer l’exploit, mais devant les critiques élogieuses de ces mêmes adultes qu’elle avait pourtant brocardés nommément, elle a fini par croire qu’elle avait quelque chose à dire, peut-être même quelque chose d’autre à dire. Elle n’était plus Aladia l’étudiante en psychologie, elle n’était plus Aladia, la fille de sa mère, elle était Aladia l’écrivaine.
Et Aladia l’écrivaine devait écrire et elle n’y arrivait plus, comme si toute sa voix s’était engouffrée dans cet unique roman.
Alors, cinq ans plus tard, elle essaie encore parce qu’il lui est impossible de tirer sa révérence en silence, sans admettre que le génie d’un moment n’est parfois que cela.
Et puis, comme un signe démoniaque, à l’instant de la défaite, elle croisa dans son moteur de recherche « Méphisto », un logiciel d’aide à l’écriture. Elle sut qu’elle vendait son âme à la minute où elle cliqua sur le lien.