La pub et la poésie par Robert Yessouroun
Dernière mise à jour : 3 mars 2021

Que penser de la citation de Blaise Cendrars, ci-dessous ?
"La publicité est la fleur de la vie contemporaine, elle est affirmation d'optimisme et de gaieté, elle distrait l’œil et l'esprit (...). Oui, vraiment la publicité est la plus belle expression de notre époque, la plus grande nouveauté du jour, un Art."
Sur le petit square, au marché du samedi matin, derrière son stand de primeurs, le robot en tablier vert racolait les clients à la criée :
‑ Par ici, m’sieurs dames, la plus belle, la meilleure carotte du pays, récoltée avec amour. Un parfum de carotte à vous couper le souffle. Allez-y les yeux fermés, m’sieurs dames, mais oui, goûtez-la, m’dame, c’est trois blitz la botte, m’sieur.
Djin, un androïde domestique commençait les courses pour son maître encore au lit. Il scanna les tomates. Après l’analyse chimique et la lecture des données sur la couleur, la dureté, la consistance et les commentaires de dégustation, le robot en fit peser une dizaine.
‑ Excellent choix !
Pour toute réaction, une voix retentit du torse de Djin :
« Les chemises Dupont, sachez-le, sont solidaires de cet achat. Personne ne vous enveloppe, personne ne veille sur votre santé comme une chemise Dupont. Dupont, la douceur et la vigilance à même votre peau. Dix pour cent de remise exceptionnelle encore cette semaine. »
‑ Ho, t’as gagné quel virus, toi ? le railla le marchand artificiel. Moi, la seule pub que j’accepte, c’est ma réclame maison pour mes fruits et légumes.
De retour chez son maître, Djin rangea ses achats dans la cuisine. Debout dans la salle à manger, son maître crut entendre l’intonation typique d’une publicité depuis les fourneaux. Son domestique aurait-il allumé la radio ?
Au-dessus de l’œuf à la coque, l’image virtuelle d’un sous-bois plein de fougères illuminait le petit déj :
« Ce premier bon moment de la journée vous est offert par les voyages Sanguid. Sanguid, la seule agence qui vous garantit l’imprévisible. »
Perplexe, le maître acheva son petit déjeuner comme d’habitude en avalant son bol de café au lait. Djin s’empressa d’emporter les reliques du repas. Pendant ce service, une voix suave, euphorisante, caressa les oreilles :
« Débarrasser la table, sans incommoder les convives encore assis, grâce à Supercoatch, LE chasseur d’emploi. Supercoatch vous obtiendra à tous les coups un travail génial, stable, bien rémunéré, sans stress, sans pression, sans heures sup. »
Le maître grimaça.