La StartUp par Robert Yessouroun

Avec un clin d'oeil à Rabelais
Sous les mouettes du Léman, la foule se presse depuis le quai. Aujourd’hui, c’est la journée « portes ouvertes » au siège de la fameuse start-up L’abeille de T-Lem qui donne sur le lac. Suivons Tim, notre envoyé spécial chargé du reportage sur cette société innovante extraordinaire. Ne sort-elle pas des sentiers battus ? À l’image, le premier détail qui frappe dès la montée des marches, c’est l’épigraphe gravé sur la façade de l’établissement d’avant-garde, à droite du tourniquet :
« Ici, n’entrez pas, râleurs, geignards, bigots, bilieux, grognons, dépressifs, hystériques, criseux, carriéristes, pervers narcissiques, maniaques des manifs, esprits tournés vers la petite bête. »
Tim se penche vers son micro :
‑ Dès l’accès, l’entreprise se distingue par son caractère « non-inclusif » !
Avec son penchant viscéral pour l’improvisation, notre reporter n’a pas préparé son sujet, comme à l’accoutumée. Sur ses traces, nous pénétrons dans le hall aux murs en cristaux limpides. Une flèche d’azur nous oriente vers la réception. Sur notre chemin, trois jeunes et charmantes stratèges en marketing remontent déjà vers le journaliste.
‑ Il ressemble à un corsaire rescapé d’un vieux galion, conviennent-elles.
En tant que membre du personnel, chacune porte un badge avec son prénom. Églantine lui sourit :
‑ Ici, pas d’horaire, pas d’horloge, pas de cadran, pas de pointeuse.
‑ Oui, acquiesce Lucienne, compter ses heures, n’est-ce pas une perte de temps ?
Tim se gratte la joue mal rasée.
‑ Mais le soir, vous rentrez chez vous ? Vous menez une vie de famille ?
‑ Nous sommes ici une grande famille, répond Victoria, non sans une pirouette.
‑ Mais… heu… et votre salaire ?
‑ Oh, banalise Victoria, la paie est variable. On reçoit des primes, en fonction du plaisir éprouvé.