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Laissez-moi passer par Katia Elkaim



Paul est ressortissant d’un pays dit riche. Il aurait théoriquement même plusieurs nationalités, toutes de pays plutôt favorisés mais depuis la Convention internationale de La Haye de 2064 sur l’Unité de Patrie, il a dû choisir l’une d’entre elles, perdant aussitôt les deux autres.

Si le contrôle des flux migratoires a été une préoccupation très fin de millénaire, sa résolution a trouvé sa solution au cours du 21ème siècle, merci au Sars-Cov-Xn et à l’écologie.

Le réchauffement et le spectre de réfugiés climatiques a mis tout le monde d’accord : moins de mouvements équivaut à moins de risque, un bénéfice indéniable pour tous.

Les pouvoirs et contre-pouvoirs, aveuglés et obnubilés par chacun sa fin, ont justifié tous les moyens.

Alors Paul, Suisse par son père et Anglais et Allemand par sa mère, elle-même née avec ces deux passeports, a dû renoncer à une partie de son histoire familiale pour satisfaire au besoin de simplicité des divers gouvernements signataires de la Convention.


Une patrie, une citoyenneté !


On vit d’où on vient.


Alma est ressortissante d’un pays dit émergeant. Sa famille, issue de la classe moyenne s’est saignée pour lui offrir de bonnes études. Lors de son cursus, elle a fait la connaissance de Paul, ils ont immédiatement tout partagé mais il n’était pas libre et elle ne voulait pas d’un homme occupé. Elle y a renoncé, sans pourtant l’oublier.


A force de ne pas l’oublier, il est revenu, libéré de sa précédente locataire. Alma l’a attendu. Chacun a son nid mais, par les temps qui courent, changer de nid est une gageure. Au moins, ça a fait baisser les prix.


Depuis 2064, il est interdit d’entrer dans un autre pays que le sien. Les États invoquent le risque sanitaire et ce, de manière uniforme.

Peu importe le détail.

Il faut faire simple.


Heureusement la Convention prévoit des exceptions : Un emploi à l’étranger, une mission professionnelle particulière et, concession récente à l’antique Convention sur les droits de l’Homme, lorsque deux personnes de nationalité différente entretiennent une relation amoureuse.


Alma trépigne de joie. Elle va pouvoir enfin aller chez Paul.


Avant de prendre son billet, elle se renseigne.


- Vous devez nous prouver que vous avez une relation suivie authentique avec cette personne, lui répond l’employée d’administration.


- Si mon compagnon vous confirme par visioconférence qu’il est bien mon compagnon, cela vous suffit-il ?


- Ah mais non, nous avons eu des cas de relations fictives, juste pour voyager. Vous devez nous prouver que vous êtes avec cette personne par des photos, des échanges de messages etc…


Alma se dit que c’est une plaisanterie. Elle n’a pas dû bien entendre. On lui demande de montrer à une fonctionnaire qu’elle ne connaît pas, ce qu’elle ne montre pas à sa meilleure amie ? Elle fouille son smartphone.


- J’ai une photo qui date un peu mais qui est celle de la soirée où nous nous sommes rencontrés.


- Vous n’en avez pas une plus récente ? Alma en a bien quelques-unes mais elles ont été prises lors d’un voyage clandestin et craint de devoir donner des explications.


- Ben pas tellement ! Les voyages sont interdits, alors nous n’avons pas tellement pu nous voir.


- Je suis désolée mais je ne peux rien pour vous. C’est la loi qui décide, pas moi.


Alma rentre chez elle. Elle n’est abattue que quelques secondes. Elle va trouver du travail sur place.


Après quelques appels, elle signe de manière électronique un mandat de consultance pour un ancien employeur ravi de la retrouver.


Deux jours plus tard, elle reçoit le sésame, l’invitation à venir pour un motif professionnel.


Elle fait sa valise, vérifie bien qu’elle a rempli le formulaire de sortie du pays et le formulaire d’entrée dans celui de Paul. Le résultat de son test viral a été reçu in extremis en début de soirée.


Le lendemain, elle se présente confiante au guichet d’enregistrement.


- Vous n’avez pas le laissez-passer, vous ne pouvez pas embarquer.


- Mais j’ai l’invitation pour aller travailler, les formulaires, le test…


- Peut-être mais vous n’avez pas le laissez-passer …


- Personne ne m’a dit que je devais avoir un laissez-passer ! Où puis-je en obtenir un ?


- Vous devez le demander au bureau de l’émigration de votre commune de domicile.


- Mais je n’émigre pas, je vais travailler une semaine à l’étranger.


- Pas de laissez-passer, pas d’embarquement : C’est la loi. Encore elle !


Alma essaie de négocier mais peine perdue.

Elle loupe son avion, rachète un billet à prix d’or pour le surlendemain et fonce au bureau compétent de sa commune de domicile.


Deux heures plus tard, elle brandit, victorieuse, le précieux laissez-passer mais se rend aussitôt compte que les formulaires de sortie et d’entrée ne sont plus à jour, pas plus que le test viral qu’il faut refaire.


- On ne peut garantir le résultat qu’en 48 heures, lui dit le labo.


- C’est une question de vie ou de mort, leur répond-elle.


- Peut-être, mais il n’empêche que nous ne pouvons garantir le résultat qu’en 48h !


- Faites au mieux, soupire-t-elle résiliente.


Le jour du départ, un petit miracle : Alma a tous les documents dont elle a besoin et s’apprête à les brandir comme un trophée.


Au guichet d’enregistrement, l’hôtesse, une autre, ne lui demande rien. Elle passe la douane sans un regard et monte dans l’avion sans une question.


Elle se dit que la liberté a décidément un prix exorbitant.



Photo by Matthew Turner



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