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Le casino du réel par Robert Yessouroun



En déferlante gigantesque, la vague s’éventra contre un récif de basalte. Son écume envahissait la surface de la houle turbulente, comme pour surprendre de sa mousse lunaire d’éventuels badauds. Curieusement, le ressac semblait étouffé, malgré l’outrance de la tempête qui animait les quatre murs. Le plafond gris, ocre et violacé flashait la pièce de ses éclairs aléatoires. Dans ce décor marin, l’arrière-salle réunissait autour d’une table ronde transparente les cinq habitués du casino, des joueurs accros, complices depuis l’adolescence.

En collant d’acrobate, Guillaume interrompit sur son portable le match de tennis sans balle, sans raquette, extrait du film Blow-up. Il paraissait se réjouir de la partie à venir, passant en revue chacun de ses joyeux comparses, toujours prêts à se lancer dans une aventure simulée. La rouquine Chantal aspirait profondément la fumée virtuelle de sa cigarette fictive. À ses pieds, son Cocker anglais geignait, affecté par la tourmente océane. Sa cousine Éléonore surfait sur un site de rencontres en papillonnant de ses faux cils. Elle approuva un tête à tête.

‑ Belle ambiance de cyclone ! admira le gros Max qui désignait les murs. Cela va me porter chance, les amis, ajouta-t-il en sueur, brandissant sa patte de lapin.

Fred, dit Barbe-noire, haussa les épaules. Ses pupilles fort dilatées, il ne cessait de brasser nerveusement les cartes spéciales, grand format.

Une jeune serveuse apporta des rafraîchissements. Bien connu du bar, chaque joueur restait fidèle à sa boisson fétiche, laquelle devait à ses yeux favoriser le bon cours du hasard.

‑ Aujourd’hui, c’est notre grand jour ! se félicita Guillaume. Nous allons jouer au fou.

‑ Ah, ouais ? s’étonna Chantal qui caressait son chien.

‑ Nous miserons sur la question : « qui, parmi nous, est le plus dingue ? ».

‑ Oh, non ! protesta Barbe-noire, comme blasé. Ce genre d’animation se termine toujours en queue de poisson.

‑ Parce que tu te shootes, très cher, glissa Max.

‑ Mais…

Le blanc de ses yeux rougit.

‑ Intéressant, ton jeu, se distingua Chantal. Mais, quel sera le critère qui mesurera la folie ?

‑ Selon les spécialistes, celui qui perd le contact avec la réalité gagne la psychose.

‑ Mais, objecta Éléonore, la plupart du temps je perds le contact avec la réalité de mon corps. En ce moment, mon genou droit se tait, puisqu’il se porte bien. L’état du monde ne se signale-t-il pas comme l’état de ma chair seulement quand cela va mal ?

‑ Et si je te chatouillais, ma cousine ? plaisanta Chantal.

Guillaume rétorqua non sans assurance à la question d’Éléonore :