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Le corps par Sylvaine Perret-Gentil



Notre corps nous appartient-il vraiment ?

Nous le croyons !

Tant que tout va bien et qu’il nous permet d’accomplir nos projets. Puis un jour, tout bascule. Nous ne voyons rien venir. Une maladie grave, silencieuse. Un diagnostic qui nous plonge dans l’étonnement et la perplexité. Une forme de dépendance se crée avec les médecins. Nous perdons la confiance que nous avions eue jusqu’ici en notre organisme, car nous ne sentons et ne reconnaissons pas dans notre corps ce que ceux-ci nous décrivent. Nous sommes ballottés entre un hôpital et un autre, entre un traitement et un autre, sans possibilité de discuter des vrais enjeux, souvent inconnus des médecins eux-mêmes.

Le monde d’aujourd’hui et sa technicité nous trompent tous sur les capacités de la médecine à nous guérir. Nous sommes pris dans un engrenage, dont la complexité se renforce quand on pense à l’avenir.

Vivre malade, mais vivre encore. Est-ce vraiment notre choix ? Comment avons-nous pu croire que la technologie qui a envahi les soins médicaux nous donnerait les moyens de vivre malade dans un confort équivalent à celui d’une personne en bonne santé. Les médecins y croient. Ce sont des sauveurs. Sont-ils pourtant sensibles à d’autres aspects de la vie que celui du fonctionnement de notre corps dans son aspect le plus matérialiste ? Qu’en est-il dans leur conscience de la capacité de leurs patients à faire face, à faire des projets malgré la maladie, à se réintégrer dans un mouvement de vie avec les activités et les partages qu’il implique.

Le vide est parfois tellement béant que chaque progrès accompli paraît futile dans ce mouvement de vie.

Nous traversons un champ de bataille avec, d’un côté, les contingences du corps et de l’autre, l’envie de continuer à nager dans le courant qui nous a relié jusqu’ici à la beauté de la vie sur terre. Que devient-elle cette beauté, une fois que l’avenir est compromis sur une durée inconnue par les manifestations d’un corps qui nous échappe ? Que faire pour nourrir cette partie de nous qui aimerait garder son plaisir et sa joie de vivre ?

Nous mourrons tous, mais le chemin n’est pas identique. La saveur de la vie se perd selon les circonstances. Le malade ne peut tirer des plans sur la comète jusqu’à ses derniers jours. La projection dans l’avenir ne donne aucune garantie. La maladie nous plonge dans un monde à part. Le malade fait partie d’un monde parallèle. Le regard change. Le nôtre et celui des autres. Il est changé par l’angoisse, par la peur, par les questions et la perplexité. Nous ne voulons pas croire que le pronostic vital peut devenir subitement un enjeu pour nous ou ceux que nous aimons. S’accommoder est le mot-clef. Et nous sommes nombreux à ne plus savoir le faire. Nous devons pourtant tous faire cet effort de l’esprit pour poursuivre le chemin qui se présente à nous.

S’accommoder. Voilà un concept que nous ne savons plus guère mettre en œuvre, car nous croyons tout savoir et tout pouvoir. La technologie a transformé la vie en un dû. Un dû de santé, de sécurité, de réussite. Tout doit être surmonté par les surhumains que nous sommes devenus. Rien n’est plus impossible. On le voit bien avec les aléas de l’épidémie de Covid-19. Nous voulons des solutions et la guérison immédiatement. Nous sommes bien forcés pourtant d’apprendre à nous adapter et à vivre avec ce virus, qui se moque bien de nos modes de vie et nos frustrations. Peut-être étions-nous devenus trop prétentieux et trop sûrs de nous. Peut-être fallait-il nous remettre les idées en place et nous réveiller d’un faux sommeil, celui des certitudes et de la perte de conscience de qui nous sommes.

Car, en définitive, nous avons été bien trop gourmands. Nos désirs, nos possessions, notre besoin de sécurité. Nous avons eu les yeux plus gros que le ventre. Nous avons été insatiables. Toujours plus, ce plus qui a phagocyté toute dimension sacrée dans nos existences.

C’est dans cette dimension que l’on ne se retrouve plus et de celle-ci que notre médecine s’est éloignée. Bien sûr, les capacités actuelles des appareils diagnostics et radiodiagnostic médicaux sont impressionnantes. Elles permettent des progrès autrefois insoupçonnés. Pourtant, en devenant de plus en plus sophistiquée, cette technologie se cantonne aux images du corps et ne laissent aucun espace d’interprétation pour d’autres dimensions de l’être humain.

Dommage ! Car notre corps ne nous appartient pas vraiment. Nous n’avons pas sa maîtrise, quand bien même nous pouvons nous en occuper et le soigner du mieux que nous pouvons. Il n’en reste pas moins que notre corps est soumis à des forces qui nous échappent le plus souvent. C’est un monde complexe et nos liens avec celui-ci aussi. Ces forces agissent et répondent à des critères, dont nous ne sommes pas conscients. Nous ne décidons ni de nos maladies ni de notre mort. Le chemin du corps lui est propre, comme celui de l’âme. Il vit son existence et celle-ci s’impose, indépendamment de notre volonté.

Qui et où sommes-nous dans ce système complexe de la vie sur terre ? Quel espace occupons-nous dans ce corps qui nous permet de vivre dans cette dimension ? Notre «Je» interne, « je veux, je crois », est-il isolé à un point tel que la notion de vie se perd face aux forces qui régissent le corps.

Pour chacun, le chemin de vie est mystérieux et le mystère est renforcé par les aléas du corps. Le choix de vie n’est pas notre choix. Il dépend de paramètres que nous ne dirigeons pas. C’est l’humilité que nous avons perdue au fil des progrès de la science. La sagesse n’y change rien. Tout au plus faut-il apprendre à marcher en évitant les ornières de l’arrogance face à un destin qui nous est inconnu.


Photo by Alexander Krivitskyi

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