Le Maître à penser par Robert Yessouroun

On aurait entendu une mouche voler. Sur son siège capitonné, le chauve qui prenait des notes tira un vif trait large vers le bas de sa feuille. En face de lui, dans un vieux fauteuil, le frisé blond frottait doucement ses paumes moites.
‑ OK, dit l’homme au carnet, avant de prendre son souffle. En guise de bilan à nos 39 séances, monsieur Ducommun, serait-il correct d’affirmer que vous souffrez de la platitude de vos pensées ?
‑ Non. Pas du tout.
‑ Ah ? (Il tripota son stylo.)
‑ Moi, je dirais plutôt que mes pensées ne m’intéressent guère. Mes pensées m’ennuient.
‑ Mmh… Pensées ennuyeuses, pensées plates, cela ne revient-il pas au même ?
‑ Beaucoup de mes semblables semblent s’accommoder de leurs pensées plates.
‑ D’accord… Bien… (Après plusieurs « mmh… ».) Je crois qu’il est temps que je passe le flambeau à mon assistant, la ressource idéale pour prendre en charge votre genre de complexe.
‑ Complexe ?
Le psychologue se leva, salua son patient, puis, quitta le cabinet à grandes enjambées. Laissé seul avec le sentiment d’être abandonné, le frisé blond ne voulut surtout pas penser, si bien qu’il explora les alentours du bureau de son thérapeute. C’est alors qu’au creux d’un recoin, il découvrit un bel aquarium visible seulement vers l’arrière de la pièce. Oui, un bien bel aquarium, vraiment, sauf que dans l’eau, pas le moindre poisson. Un aquarium vide, quoi !
‑ Comme mes pensées ! s’exclama Ducommun.
Soudain, dans le vestibule adjacent, des pas lourds se rapprochaient… Le patient fonça vers son fauteuil. Sitôt que la porte s’ouvrit, une voix presque gutturale retentit :
‑ Bonjour, monsieur Ducommun. Je suis votre aide psychique. On m’appelle LAM. Lucidité artificielle médicale.
L’homme assis se crispa. Ses mains serrèrent les accoudoirs couverts de velours.
Sacoche en bandoulière, l’assistant était vêtu d’un cache-poussière gris, gris comme la matière grise. Son visage blanc, telle la substance blanche, était dépourvu d’appendice nasal. Ses prunelles semblaient lumineuses. Ses lèvres esquissaient un sourire durable, voire définitif. Avant d’extraire de sa sacoche quelques ustensiles, l’androïde proposa, illico, une alternative :
‑ Que préférez-vous, la couronne ou le diadème ?
‑ Pardon ?
‑ L’un comme l