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Le robot, le bébé et l’encenseur par Robert Yessouroun




À mon père, héritier (sur les bords) de Spinoza


Vers quatre heures du matin, sur une île d’Estonie, dans la maison du guide spirituel d’une communauté religieuse :

‑ Ououououain !


Le nouveau-né, une petite fille bien potelée, pleurait à nouveau chaudement dans son berceau de soie blanche, bordée de noir et de bleu. À son chevet, engagée depuis la veille, la nouvelle nounou quantique à hydrogène passait en revue les causes possibles de ces pleurs décidément trop fréquents. La faim ? Le biberon ne la tentait guère. Des gaz, des couches sales, une irritation cutanée ? Non, tout bien vérifié, rien de cela.


Réveillé une fois de plus, le père, un jeune guide des consciences, un encenseur prometteur, diadème halogène sur la tête, les yeux rougis d’épuisement, s’enquit de ce qui tourmentait tant la petite :

‑ Pourquoi ces vagissements, Golom ?

‑ Peut-être votre fille vient-elle de découvrir la lune, maître, plaisanta l’androïde novice, pour couvrir son ignorance.

‑ Veille à ce qu’elle ne réveille pas sa mère, Golom. Elle est déjà si éreintée par nos méditations sur le sens de « donner la vie ».

‑ Vous méditez à deux sur le sens de donner la vie ? reformula le robot qui saisissait mal le propos.

‑ Oui, donner la vie est un grand privilège offert par Dieu. C’est le summum du merveilleux.

Le bébé redoubla ses pleurs. Par ses narines artificielles, l’androïde lui souffla un air tiède sur le front.