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Les guérisseurs par Sylvaine Perret-Gentil




Il suffit de consulter les médias et les réseaux sociaux pour réaliser à quel point le rapport des humains aux animaux évolue. Une forme de sensibilité au monde des animaux s’est réveillée et révélée ces dernières décennies. La façon dont l’être humain considère sa place dans son univers se modifie et la frontière entre les groupes semble s’estomper. On passe à une version plus empathique des rapports entre humains et animaux. Ceux-ci, autrefois considérés comme des objets ou des travailleurs dont on pouvait disposer à sa guise, se sont transformés en compagnons de vie. C’est pourquoi on constate un engouement massif pour les animaux de compagnie, qui ont acquis un statut privilégié, justifié par des sentiments « passionnés ». On constate aussi la personnification de certains animaux se transformant en véritables emblèmes comme l’orque Willy, le dauphin Flipper ou Knut, l’ourson du zoo de Berlin. Bien sûr, les rapports entre humains et animaux sont une question de société et de culture, mais que s’est-il passé dans nos vies pour qu’un tel changement s’opère ?

Ce changement est en partie le résultat du développement d’une conscience écologique (et alimentaire), qui permet aux humains de prendre la mesure de leur interdépendance avec le monde du vivant en général. Ils réalisent – enfin - que leur sort est lié à celui des autres groupes. La disparition de plusieurs espèces animales et végétales par notre faute semble avoir sensibilisé plusieurs d’entre nous et avoir provoqué un sursaut de conscience vis-à-vis du règne du vivant, dont nous faisons partie, et face aux maltraitances sous toutes leurs formes. Certains humains, cependant, progressent peu dans leur sentiment de compassion pour leurs semblables et, de manière générale, tout ce qui vit dans leur univers. On tue et on fait souffrir ses semblables sans regrets ni tristesse. On pratique encore l’élevage industriel pour les animaux de rente (bœuf, porc, poulet) et on décime les populations de baleines et de requins. Certains animaux sont encore les victimes de recherches scientifiques. Du côté des animaux sauvages, l’orgueil stupide ou la cupidité des chasseurs d’ours, d’éléphants, de rhinocéros (et bien d’autres) est encore bien vivace. Les zoos et les cirques ont encore bel avenir même si des mesures pour éviter la maltraitance ont été prises. La compassion vis-à-vis des animaux domestiques a aussi ses limites quand on voit le nombre de ceux-ci abandonnés au bord des routes en période de vacances.

La modernité a créé une forte tension entre nature et culture, la culture étant évidemment le propre de l’homme. L’être humain est ambivalent. Il a utilisé les outils scientifiques et techniques de la société moderne pour asservir la nature et les animaux. En parallèle, il a créé de nouveaux rapports avec certains animaux qu’il a socialisés à l’extrême. Pourquoi ? Ne serait-ce pas la solitude dans laquelle les humains se sont enfermés et piégés qui expliquerait ce phénomène ? Pas la solitude liée au fait d’être seul, mais celle qui naît de l’absence de partage affectif. Nos chiens et chats ne seraient-ils pas les guérisseurs de ce manque qui s’installe peu à peu et refroidit nos vies ?

Toutes les vidéos téléchargées sur Facebook et Instagram démontrent que les relations entre individus et animaux domestiques se sont « humanisées » et que la frontière entre eux est pratiquement effacée. L’animal de compagnie est un membre de la famille à part entière, souvent un substitut d’enfant, parfois un jouet. Il est souvent infantilisé à l’extrême au bénéfice du narcissisme de son propriétaire. Il bénéficie des mêmes services et soins que son propriétaire. Assurance-maladie, suivi psychologique, toilettage, habillage, organisation de fêtes d’anniversaire, cadeaux de Noël, hôtel de vacances, salle de sport, cimetière. Chiens et chats dorment souvent avec leur maître, mangent aussi avec celui-ci. On assiste à des séances de caresses, bisous et marques de tendresse, à des jeux, à des tests plus ou moins drôles. Tout ceci est-il uniquement la manifestation d’un certain humour ou d’une générosité de cœur gratuite chez l’humain ou celui-ci utilise-t-il son animal, qui répond volontiers à toutes ces manifestations, pour combler un certain nombre de besoins ? Une apparence de bons sentiments peut cacher un besoin de domination. Elle cache certainement aussi un vide affectif dont l’animal domestique devient le médecin. L’animal de compagnie semble parfois combler un vide abyssal chez son propriétaire. Un vide qu’aucun écran d’ordinateur ou de téléphone ne peut combler. Une absence de chaleur humaine. Beaucoup de gens vivent isolés et sont privés de gentillesse ou tendresse.

Qu’on le veuille ou non, la domestication, qui est devenue extrême avec les animaux de compagnie, implique forcément une relation de dépendance et de pouvoir, même si elle se camoufle parfois derrière des mises en scène où l’animal apparaît comme un alter ego, une sorte de double social. La distance entre humains et animaux domestiques s’est effacée.

Mais qui bénéficie de ces nouveaux rapports ? Sous couvert de rapprochement et de meilleur respect de l’animal, notre société postmoderniste a peut-être créé la pire situation qui soit pour les animaux que nous adoptons. Sans en faire une généralité, une bonne partie des humains ont transformé le rôle utilitaire de certains animaux qui vivaient avec nous en rôle de guérisseurs de nos plaies affectives et faire-valoir de notre narcissisme. L’animal domestique est aujourd’hui utilisé et instrumentalisé à des fins égoïstes sans aucune considération pour sa condition et ses besoins d’animal. Était-ce un progrès souhaitable ?


Photo by Sebastian Coman Travel


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