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Mere Humbug and Jugglery (version française) par Nigel Roth



En 1810, dans une banlieue de Paris, dans un pays qui venait de mettre fin à sa guerre contre la Suède, la femme d'un cordonnier donna naissance à l'homme le plus étrange.

Il s'appelait Alphonse Louis Constant, et au moment de sa mort Éliphas Lévi Zahed, nom hébreu translittéral dont il s’était affublé.

En 1832, il entra à l'école de théologie de l'église Saint-Sulpice, dans le quartier latin du 6e arrondissement, afin de faire carrière dans le catholicisme, projet qu'il entreprit avec ardeur. Bientôt, il devint sous-diacre, responsable du catéchisme, dans une quête idyllique de la foi et de l'instruction morale, promouvant des doctrines d'exclusion et de mystère, avant de devenir un diacre complet, fonction dans laquelle il se surpassa.

Mais voilà que, la semaine même où Constant devait devenir prêtre, il saisit son baluchon et, laissant sur la table du réfectoire un bol de bouillie d'escargots intact et une baguette de pain défraîchie, il s'en alla, franchissant les immenses grilles sans même un signe de tête aux prédateurs d'enfants qui l'avaient amené si loin dans son parcours catholique.

Les raisons de son départ sont vagues, mais on dit qu'à l'âge de vingt-six ans, il avait déjà "des opinions étranges sur des sujets doctrinaux", qu'il était "dépourvu du don du silence" et "renonçait à la carrière sacerdotale en raison de doutes et de scrupules", ou peut-être même pour les trois motifs.

Bien qu'il ne soit plus jamais revenu vers ce culte ancestral, il estimait qu'il lui avait fait du bien et qu'il avait "acquis une compréhension de la foi et de la science sans conflit", ce qui est ironique car il semble avoir été en conflit sur presque tout par la suite.

Après avoir rejeté la religion comme étant bizarre, il se tourna vers des disciplines beaucoup plus terre à terre, comme l'utilisation de textes alchimiques mystiques et de cérémonies occultes pour explorer la réalité du monde qui l'entourait. Il fit sienne la translittération, soit un code de conversion qui échange les lettres d'une écriture contre une autre, dans ce cas le français contre l'hébreu, et donna naissance au mystique "Éliphas Lévi" et bannit l'ordinaire "Alphonse Louis".

Le nouvel Éliphas Lévi devint alors un ésotériste, semblant se connecter à un niveau bien plus élevé et mystérieux que celui que les gens de son bar local pouvaient comprendre. Poète des plus grande inepties et auteur de plus de vingt livres sur la magie, Eliphas Lévi étudia les mystères de la Kabbale, ce vieux serpent de mer pour chercheurs confus qui ont trop de temps à perdre.

L'une de ses principales influences était le non moins controversé Simon Ganneau, ce qui peut expliquer bien des choses.

Ganneau est né en 1805, cinq ans avant Éliphas Lévi, à Lormes, dans le centre de la France. L’homme était un socialiste et un mystique, une combinaison qui a été souvent imitée depuis.

Il fit tout son possible pour être fou, adoptant le surnom de Mapah, un patronyme qui semblait se situer à la confluence de mater-pater et de maman-papa, et proclama que Dieu était bisexuel, ce que, bien sûr, personne ne pouvait vraiment contester.

Il se promenait dans une énorme cape de femme, portait une très longue barbe, se proclamait prophète de la religion Evadaïste, qui était elle-même un mélange d'Eve et d'Adam, et qui luttait pour l'égalité des sexes et la justice sociale. Il affirmait qu'il était la réincarnation de Louis XVII (et pas XVI), et sa femme celle de Marie-Antoinette.

Il était également phrénologue et étudiait la forme et la taille du crâne de ses amis afin de connaître leur caractère et leur acuité mentale, ce qui devait les amuser. Il était également sculpteur et diffusait ses "plâtres bisexuels" pour appuyer son prosélytisme enthousiaste.

C'est dans son atelier-logement que les grandes idées naissaient, se dissolvaient et se réanimaient, et qu'il influençait des sommités comme Alexandre Dumas, Alphonse Esquiros et Flore Tristan, ainsi que notre ami Éliphas Lévi, qui, fidèle à son désir de nous embrouiller encore plus, décida de quitter Paris et de réintégrer les ordres en 1839.

Il choisit cette voie, semble-t-il, parce que le seul moyen pour lui de joindre les deux bouts était d’enseigner, ce qu'il détestait, mais aussi parce qu'il n'arrivait pas à se défaire de la vocation de Jésus. Un an plus tard, il s'empressa de démissionner, la discipline de la vie monastique étant apparemment trop difficile à respecter pour lui, complication qui surpassait de loin la gravité des paroles de son ancien sauveur.

De retour à Paris, parmi ses amis, et se sentant rasséréné, il écrivit La Bible de la Liberté, et fut dûment emprisonné pour cela. Une fois libéré, il trouva l'amour.


En quelque sorte.


Car il semble qu'Éliphas Lévi ait épousé la mauvaise femme, ce qui ne devrait pas nous surprendre. Il s’éprit en effet de deux dames, Eugénie et Noémie, ou plutôt de deux jeunes filles, car l'une d'elles n'avait que seize ans. Il fut contraint d'épouser Noémie, même s'il était plus attiré par Eugénie. Comme Noémie se sauva avec le marquis de Montferriet quelques années plus tard, il avait sans doute eu raison dans sa préférence initiale, mais cela n'avait plus d'importance. Il eut, au cours de cette relation ou de relations tangentielles plusieurs enfants, bien que les détails soient, une fois encore, quelque peu vagues, et il semble que la plupart de sa progéniture soit morte avant qu'il n'ait eu la chance de ne pas les baptiser.

En l'espace de quelques années, il devint, au dire de tous, un magicien cérémoniel, même si son talent perdit rapidement de son prestige lorsque ses connaissances lui demandèrent "de faire des miracles, et de prouver qu’il n’était pas un charlatan", ce qui explique qu'il ait été "peu enclin à initier les autres aux mystères de la magie cérémoniale".

Alors que les espoirs de ces pauvres âmes s'effondraient sur l'autel de la versatilité d'Éliphas Lévi, il commença à attirer l'attention d'autres artistes romantiques et ésotéristes de Paris et de Londres, tout en scellant sa rupture d'avec son cercle social. Il rejeta la franc-maçonnerie, parce que ses membres "ne croyaient pas qu'il fallait tolérer le catholicisme", même si je ne pense pas que l'on puisse les blâmer pour cela, alors qu'il y a tant d'autres aspects de leur folie à critiquer.

En 1850, Éliphas Lévi, de nouveau accablé par la pauvreté, trouva du réconfort dans le Second Empire de Napoléon, qu'il considérait comme un moyen de rétablir l'ordre au sein de la Seconde République, jusque-là désorganisée. Mais en 1852, il changea à nouveau d'avis et écrivit un pamphlet soulignant l'ineptie de l'Empereur, ce qui lui valut d'être à nouveau emprisonné.

Pendant cette période, il décida soudainement que les masses sans éducation n'étaient pas capables de se libérer de la servitude et qu'elles avaient besoin d'un ordre supérieur, en particulier de prêtres d'élite, pour les guider.

C'est ainsi qu'il contribua à la production de toute une série de publications, dont la Revue Philosophique et Religieuse, l'Histoire de la Magie en 1860, qui contenait sa théorie de la magie et ses trois principaux composants, la Lumière Astrale, la Volonté et l'Imagination, théorie qu'il n'avait pas inventée lui-même, mais qu'il avait plutôt empruntée à d'autres.

Il écrivit également le Dogme et Rituel, La Clef des Grands Mystères et Le Sorcier de Meudon en 1861 ; les Fables et Symboles en 1862 ; La Science des Esprits en 1865 ; et, Le Grand Arcane, ou L'Occultisme Dévoilé en 1868.

De manière assez surprenante, ses travaux gagnèrent en popularité, principalement parce qu'Éliphas Lévi était déterminé à rejeter une grande partie des balivernes spirites qu'il observait, tout en offrant un soutien pseudo-scientifique à ce concept général.

Par exemple, il était magicien, mais ne prétendait pas appartenir à une société ancienne inventée de toutes pièces, comme les affreux francs-maçons, et dédaignait les "rites [...] la formation de cercles et la dispersion de l'encens" comme étant "de simples balivernes et jongleries".

Il pensait que si les praticiens malhonnêtes de l'art des esprits pouvaient manipuler les participants aux séances de spiritisme, les "images mentales et les forces astrales" pouvaient en effet continuer à vivre après la mort. Il pensait que les "tables tournantes et les manifestations fluidiques" étaient bien sûr des affectations du métier et non les interactions spirituelles qu'elles prétendaient être, mais qu'elles étaient à l'inverse les premiers "courants magnétiques" psychiques liés au début de la connexion au-delà de la vie.

Paradoxalement, son discours jeta un voile d'honnêteté auquel se rallièrent rapidement des organisations telles que l'Ordre Hermétique de l'Aube Dorée et des fous diaboliques comme Aleister Crowley, qui incorporèrent de nombreuses idées et proclamations d'Éliphas Lévi Zahed.

Il mourut en 1875, à l'âge de soixante-cinq ans, et laissa plusieurs contributions au monde de la magie.

C'est son utilisation du Tarot qui conduisit les cartes à être intégrées au spiritisme comme elles le sont encore aujourd'hui, et c'est lui qui décréta qu'un pentagramme avec deux pointes vers le haut connotait le mal, alors que s'il avait deux pointes vers le bas, il signifiait le bien.

Il ne fait aucun doute qu'Éliphas Lévi avait des convictions fortes. Ce qu'il croyait n'était pas toujours clair, car il semblait changer d'avis fréquemment. Il dit un jour que "si je crois à la statue de saint Pierre comme j'aurais dû croire à saint Pierre lui-même, j'obtiendrai les mêmes effets que j'aurais dû obtenir de saint Pierre. Mais c'est de la superstition. La foi, au contraire, produit des miracles ; et que ce soit une foi vraie ou une foi fausse, elle produira toujours les mêmes prodiges".

Je pense qu'un vrai miracle aura été de suivre ce qu'un homme dont le vrai nom était Constant voulait dire d'un moment à l'autre.


Photo by Mikhail Nilov

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