Hier, dans un grand moment de remise en question, en débarrassant des kilos d’objets accumulés au cours des vingt dernières années, je me suis interrogée sur la notion d’obsolescence. J’avais sous les yeux des piles de CD et DVD mais aussi et surtout quelques boîtes de CD-ROM et je me demandais s’il existait un marché de collectionneurs pour ces jeux glorieux d’antan – moins de trente ans quand-même – dont il existe aujourd’hui de multiples versions sur des supports plus modernes.
La réponse est non…
Les sites de vente d’occasion sont inondés de pareils objets à des prix inférieurs au coût de leur envoi.
Je ne voyais donc aucune autre solution que celle de créer des déchets ou de décorer mes arbres fruitiers de disques argentés.
Alors bien sûr, j’ai pesté contre l’obsolescence des choses en maudissant le monde et les firmes qui se livrent à l’exercice de programmer la durée de vie de leurs inventions technologiques.
Seulement, à la réflexion, je pris conscience que mon mouvement d’humeur était un peu simple, voire simpliste.
Et j’ai voulu en savoir plus.
D’abord, de quoi parle-t-on ?
Un objet peut être obsolète pour différentes raisons : Son évolution ou son utilité technique peut être bridée pour une raison ou une autre, le rendant difficile ou impossible d’usage, soit, tout en étant en parfait état de marche, il cesse d’être attrayant pour le consommateur (mon magnifique CD-Rom de Myst).
Entre parenthèses, cette discussion m’a aussi fait penser à un autre débat que j’avais avec une très chère amie, à propos de la femme quinquagénaire. Je ne vous en restituerai pas le contenu parce qu’il faudrait aussi que je vous fasse partager l’excellent Barolo qui accompagnait en quantité nos échanges et la description des serviettes froissées sur la table près du bol de houmous un peu sec sur les bords en fin de soirée.
La France, championne toute catégorie des législations de régulation en matière technologique, a évidemment été l’un des premiers pays, sinon le premier, à adopter une loi prohibant l’obsolescence programmée.
Encore fallait-il définir ce qui était interdit : l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) établissement public français fondé en 1991 limite la notion à tout stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, pour restreindre sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique.
Ouf… la quinquado que je suis peut respirer… La définition ne comprend pas le fait pour un consommateur de se désintéresser d’un objet en parfait état de fonctionner, juste parce qu’il en existe des versions plus récentes sur le marché et ne se confond pas non plus avec la durée de vie fonctionnelle qui rend tout et nous tous finis.
L’étincelle qui a mis le feu aux poudres de toner est l’affaire des cartouches d’encre d’imprimantes à puces qui entravaient leur utilisation si elles étaient à nouveau remplies, une fois vides. L’Union européenne s’est saisie de la question et a interdit le procédé.
L’ironie de cette histoire est que l’idée même d’obsolescence programmée est née dans les années 30 pour faire repartir l’économie. En effet, Bernard London dans son « Ending the depression through planned obsolescence » regrettait que les gens utilisent leurs objets trop longtemps, demandant aux gouvernements d’inciter les populations à plus consommer en diminuant leur durée de vie.
Brooks Steven, dans les années 50 a lui popularisé la notion d’obsolescence par le désintérêt, en proposant un modèle de croissance des entreprises par la popularisation de la nouveauté. Autrement dit, une chose continue à être fonctionnelle parfaitement, mais elle n’intéresse plus, supplantée par une innovation. La quincado se marre avec un peu de Schadenfreude, en se disant que toute nouveauté finit un jour par être dépassée, même si cela lui fait une belle jambe sur le moment.
Aujourd’hui, la surconsommation est létale sur le plan environnemental. Le constat est unanime.
Sur le plan de la nourriture, faisons déjà la différence entre le « à consommer de préférence avant… » qui signifie que l’aliment reste consommable avec juste un risque d’avoir une diminution de ses propriétés organoleptiques, et la vraie date de péremption « à consommer jusqu’au… » au-delà de laquelle, pour des raisons de santé, il est déconseillé de manger.
S’il est facile d’être d’accord d’interdire la manipulation d’un objet pour le rendre irréparable ou inutilisable dans un délai programmé, la réflexion me semble devoir être plus nuancée lorsqu’il s’agit de désintérêt. L’humain n’a jamais aussi vite inventé. Cette rapidité créative sans précédent rend vieux avant de l’être. Retenir ou interdire à l’humain de créer est un acte grave qui doit être mis dans la balance des intérêts, notamment environnementaux ou éthiques à protéger.
Je suis née à l’ère de Pollux que je regardais en noir et blanc en changeant l’une des trois chaînes à disposition en enfonçant de mon petit doigt une touche un peu longiligne du poste de télévision.
Aujourd’hui, mes CD-ROM de Myst et sa suite sont sans intérêt et je ne sais plus comment lire les disquettes en nombre rangées bien sagement dans une enveloppe.
Empêcher l’humain d’imaginer et de rêver à mieux est une guerre perdue. Éduquer le consommateur reste la seule piste à adopter avec une réalité d’autant plus vive en ces temps d’arrêt pandémique, celle de la nécessité de consommer pour permettre à d’autres de juste manger.
À la réflexion, je vais garder mes CD-ROM et j’attendrai qu’ils atteignent la cinquantaine, un âge où la folie est permise sans contrainte, un âge de liberté retrouvée avant la décennie suivante où, collector, ils prendront encore plus de valeur.
Photo by Rachel Claire
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