Un jour, il y a longtemps, dans le préau d’une école de Long Island, j’ai trouvé mon prénom gravé dans une bougie en forme de cœur, au milieu de quelques centaines de bougies toutes adressées à quelqu’un.
À moi l’Européenne de 15 ans en visite, on avait expliqué avec fierté la signification de cette fête, et je l’avais trouvée cruelle.
Mais soudain devant moi, mon prénom dans la cire résonnait comme un acte de clémence du sort, évitant à mon entourage l’embarras de me trouver une explication réconfortante à l’absence d’intérêt que je suscitais.
Les apparences du moins étaient sauvées.
Celui ou celle qui se sait aimé a le luxe de critiquer cette tradition jugée commerciale, car, il faut bien l’admettre, elle écorche le portemonnaie des avares et violente les égocentriques.
La symbolique du 14 février trouve sa source en Angleterre, là aussi tout un symbole. Selon une croyance paysanne, abondamment relayée par Chaucer, les oiseaux auraient choisi ce jour précis pour s’apparier. J’ai toujours su que la plupart des humains avaient le cerveau d’un moineau, mais reconnaissons qu’il y a peut-être un fond de vérité puisque la cigogne m’a bien déposée neuf mois plus tard dans les bras de ma mère.
On le sait bien, l’Angleterre est terre d’innovation et il ne faut souvent ensuite qu’un voyageur pour apporter sur le continent la nouvelle tendance à la mode. Au XIVème siècle, ce voyageur n’était autre qu’Othon de Grandson, inhumé à la Cathédrale de Lausanne. Ce chevalier-poète de la guerre de cent ans, rimeur remarqué par Chaucer, répandit dans le monde latin la fête de la Saint-Valentin.
Si les couples modernes profitent de ce jour pour se dire qu’ils s’aiment, ce qui leur permet de ne rien se dire du tout le reste de l’année, le valentinage du Moyen-âge était autrement plus amusant : chacun tirait au sort quelqu’un d’autre pour un jour ou une année de libertinage amoureux où les femmes, surtout les femmes mariées, étaient libres de leur corps. Je suppose que si le sort était défavorable, l’année pouvait néanmoins sembler très longue.
À la même époque – et pendant longtemps – ceux qui ne savaient pas écrire signaient les documents officiels d’un « X », doublé d’une marque de leurs lèvres en guise de bonne foi. Les lèvres ont disparu mais le « X » est resté dans les milliers de messages que l’on s’envoie, sauf si le typographe ne trouve pas la touche toujours trop petite de son smartphone et envoie des « Y » ou des « Z » à la place.
Mais qui était Saint-Valentin ? On ne le sait pas avec certitude, car trois personnages revendiquent cette distinction. Le premier aurait été Valentin de Rome martyrisé au IIIème siècle et enterré sur la via Flaminia, Valentin de Terni, lui aussi victime de torture et enterré au même endroit et Valentin de Rhétie, prédicateur du Vème siècle. Les historiens pensent qu’il ne s’agit que d’une seule et même personne, cette trilogie résultant d’une totale confusion des pèlerins. Le seul qui compterait serait Valentin de Terni, qui mariait les couples en secret, malgré l’interdiction de l’empereur Claude II qui voulait éviter à ses soldats les distractions de Cupidon. Il fut arrêté, torturé puis exécuté pour être tombé amoureux de sa geôlière non-voyante, à qui il aurait redonné la vue. L’amour est bien aveugle !
D’ailleurs, on peut se demander si cette citation, attribuée à Platon qui parlait plus de l’amour-propre, ne vient pas directement de notre Valentin de Terni.
Quoi qu’il en soit, la Saint-Valentin célèbre le martyre d’un homme, la cécité d’une femme qui a retrouvé la vue et perdu son amant, la solitude de ceux qui sont loin des êtres qu’ils aiment, la mise en abîme des couples mal assortis, le désespoir de ceux qui n’aiment personne et la gloire de quelques passions qui s’assouvissent en dehors de ce jour et n’ont nul besoin d’être au calendrier. Malgré cela, mon cœur de midinette s’affole et se tourne en direction d’un être aimé à qui je dis : Happy Valentine’s day.
Photo by Nathan Martins
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