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Une promesse d'éternité par Hugues Paris, MD Psychanalyste, Ecrivain



Notre société post-moderne est tout entière habitée par l’idée d’abolir la mort.

Elle l'a tout d’abord rendue invisible. La vieillesse, prémices de la mort est enfermée, ostracisée, mise à l’écart du regard des autres. Les vieux s’entassent dans des homes, « aux paysages verdoyants », c’est-à-dire, loin de la ville et de son bruissement humain, et où, au final, ils meurent loin de toute vie sociale, du groupe familial, de la vie communautaire intergénérationnelle.

En à peine un demi-siècle, « le vieux » ou la « la vieille », au coin du feu, chanté par Brel, présents dans toutes les comédies italiennes, trônant en bout de table de ces repas homériques, assis sur les bancs de Corses à l’entrée des villages, ont disparu de notre univers quotidien.

Quant à leur mort, jusqu’il y a peu « entouré des siens », elle se passe pour presque tous à l’hôpital, en présence de quelques soignants et de rares membres de la famille, quand ce n’est pas désespérément seul comme lors de cette pandémie.

La mort a été effacée par la disparition des cérémonies religieuses, le passage de l’enterrement à la crémation.

Le deuil ne se porte plus ; la société accorde quelques jours de repos, et il s’agit ensuite de faire bonne figure, de montrer que la vie continue, mais surtout que la mort n’existe pas. Porter le deuil, est, au-delà du chagrin, témoigner du néant de la mort, que la disparition d’un être laisse un espace éternellement vacant dans notre psyché, de sa présence quotidienne. Mais qui porte le deuil aujourd’hui ?

Notre post-modernité est encore allée plus loin dans son mouvement d’effacement de la mort de l’espace social et psychique en en faisant un acte choisi, (et non inéluctable) : je choisis ma mort, son moment et sa forme avec Exit ou autre entreprise de suicide assisté. Car si l’on peut choisir de mourir, c’est bien que l’on peut choisir de ne pas mourir.

Ce long détour pour dire que les progrès scientifiques vont avec certitude, dans un avenir prochain, repousser encore la mort en arrêtant le vieillissement.

La mort en sera-t-elle abolie ?

L’humain est probablement le seul animal qui a conscience de sa finitude. Une conscience douloureuse qui marquera sa destinée psychique quelque qu’en soient les moyens qu’il développera, individuellement ou collectivement, pour s’en défendre. C’est autour de 7 ans que le petit d’homme connaît sa première grande crise existentielle : la mort est la fin définitive, inéluctable et irréversible de sa vie. Son rapport au monde en sera transformé. Il se doit de vivre, et en même temps vivre lui rappelle que la mort en est la fin. La conflictualité psychique humaine, fondamentale, se construit sur cette prise de conscience.

Une deuxième crise existentielle se situe vers 40 ans, celle de la conscience du vieillissement.

Jusqu’alors l’Homme est tout occupé à sa croissance, physique et psychique, à sa construction professionnelle, amoureuse, familiale, dans le grand mouvement du siècle comme disaient les classiques. Le vieillissement n’est pas superposable à la mort, il en redouble la réalité, non comme un point lointain, mais comme un processus de déchéance progressive, du corps comme de l’esprit, une usure, une perte progressive avec au final le néant. L’homme le mesure à l’accélération brutale du temps, signant à contrario le ralentissement de son temps biologique, à l’usure de son corps et de ses organes, et à la mort des autres.

Depuis toujours l’homme a cherché à se déprendre de ses deux faits.

Pour la mort, ce sera par l’ingestion magique du pharmakon, des fontaines de jouvence aux médicaments miracles ; par la religion, qui promettra pour l’une une vie après la mort dans un paradis, pour d’autres dans le cycle ininterrompu des réincarnations. Par la philosophie enfin, acceptation de cette destinée et tentative de construire une « belle mort ».

Pour le vieillissement, chacun ira de sa méthode, ingestion rituelle d’animaux totémiques, dont on espère absorber la force vitale onguent, prières, pèlerinage, rituel, tout est bon pour ne pas vieillir. Dans notre modernité ce sera par l’hygiène de vie, le manger sain, le sport, la médecine là encore, la chirurgie esthétique.

Le fantasme sous-jacent de notre modernité serait de mourir âgé mais en bonne santé et sans porter les stigmates du temps.

Que penseront les archéologues futurs quand dans plusieurs milliers d’années ils trouveront dans les tombes des seins en silicone et des visages de plastique, des verges éternellement priapiques, sur des os blanchis ?

A contrario, la vie sans fin est interrogée dans les mythes structurants qui nous portent. Notons ici qu’ils sont souvent terriblement pessimistes : Faust vend son âme au diable dans un pacte mortifère, le juif errant est « condamné » à la vie éternelle, pour ne citer que ceux-ci., est chacun d’eux en porte le malheur et l’infamie. Abolir la mort ne peut être qu’une punition ou un pacte avec le mal.

Les progrès de la médecine au cours d’une période très courte à l’échelle de l’humanité ont permis de repousser la mort. L’espérance de vie d’un occidental a doublé en quelques siècles, la population humaine a connu une croissance exponentielle et vertigineuse. On peut affirmer aujourd’hui qu’il est fort probable que le vieillissement sera un jour vaincu, et donc la mort…

La mort ? Le vertige de l’immortalité serait à portée de mains ?

En tant que médecin, scientifique, rien ne s’y oppose. L’obsolescence programmée par notre code génétique sera un jour prochain décodée, et corrigée.

Cependant abolirons-nous la Mort ? Ce n’est pas si simple que cela. Si on prend les statistiques suisses, pays où l’espérance de vie est particulièrement élevée, nous mourons de maladies cardio-vasculaires, de cancers, d’accidents, de suicides, de maladies autres (le Covid en est l’illustration récente)… on peut grossièrement dire qu’à peine un quart des suisses meurt « de vieillesse ». L’immortalité promise par les progrès de la science ne touchera qu’une faible partie de la population, suisse en l’occurrence, les autres continueront de mourir.

Et si nous regardons l’humanité dans son entier, les guerres, les famines, se chargent de rendre ridicule cette promesse d’éternité pour la plupart des humains.

D'autres questions se poseront alors : à quel âge vais-je m’arrêter de vieillir ? Car si c’est perclus de rhumatisme, avec un cœur qui ne m’autorise que quelques pas, à moitié sourd, ne voyant rien et sexuellement pas en forme, cela en vaut-il le prix ? Que ferais-je, si mes amis, mes amours meurent, de maladie, d’accident, et que je reste. Seul ; Eternellement seul ?

Cela abolira-t-il la guerre, les famines et la destruction de la terre qui s’amorcent du fait de l’action humaine et des changements climatiques qui en résultent ?

Et de manière plus ontologique, cette éternité nous permettra-t-elle de vivre l’instant présent, enfin, ou au contraire, repoussera-t-elle éternellement de prendre le temps de vivre, laissant l’humain tout entier aux divertissements pascalien, encore plus dans l’incapacité de jouir de ce qui lui est donné, aveuglé par la promesse, ou la paresse, d’un lendemain qui chante ?


Photo Mikhail Nilov

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